Témoignage complet de Soeur Marie-Rose Lepers

MA VOCATION DE SŒUR DE NOTRE-DAME

Je suis née à Mouscron en 1935, la plus jeune des 4 enfants d’une famille ordinaire : papa était employé dans une usine textile, maman s’occupait du ménage. Nous étions catholiques pratiquants, les prêtres étaient nombreux. Participer à la messe du dimanche allait de soi ; parfois Maman proposait la prière du soir en famille. Nous allions à l’école catholique, avec prières et cours de religion. En primaire, une sœur était directrice et toutes les institutrices laïques célibataires. Il y avait la croisade eucharistique (messe le jeudi matin), la sainte enfance (j’ai épargné pour faire baptiser un Joseph congolais et une Marie-Rose ‘peau-rouge’), et régulièrement on nous menait à l’église pour les confessions (mauvais souvenir car cela durait longtemps vu le grand nombre d’enfants et le froid de l’église).

A 11 ans j’ai suivi sérieusement la préparation à la ‘communion solennelle’ (profession de foi). Sœur Amelberge nous a dit de prier pour avoir la vocation religieuse ; j’ai répondu « je ne prierai jamais pour cela, j’ai bien trop peur d’être exaucée ! » Je suppose que je l’ai scandalisée et qu’elle a prié pour moi. Le jour venu, j’ai senti que Jésus m’appelait à le suivre et j’ai répondu « s’il le faut vraiment… ».

L’année de mes 13 ans, j’ai laissé tomber toute prière, sauf la messe du dimanche qu’il aurait été impensable de manquer ! Cette année-là, sœur Flore est arrivée, elle nous donnait les cours de sciences : jeune, jolie, souriante, donnant bien ses cours et sachant se faire obéir. J’ai souhaité devenir comme elle, mais sans être religieuse ! L’année suivante, elle était notre titulaire. Suite à un chahut, elle nous avait punies sévèrement, mais le lendemain elle nous a pardonné ; j’ai eu cette intuition : ‘si sœur Flore est si bonne, qu’est-ce que Dieu doit être bon !’.

L’année de mes 15 ans, c’était le début de la guerre scolaire. Mes parents m’ont inscrite au lycée de Tournai, mes tantes m’ont trouvé une place chez les Filles de la Sagesse qui avaient des dames et une dizaine de jeunes filles pensionnaires. Nous y étions très libres. Je suis devenue catholique par esprit de contradiction. Je pressentais que cela valait la peine d’aider des jeunes à trouver leur vérité. C’est aussi à ce moment que j’ai commencé à me confesser régulièrement au même prêtre. Au début de l’année scolaire suivante, une sœur a conduit les plus jeunes à la chapelle après le souper. Quelques jours plus tard, une compagne m’a demandé d’aller mettre bon ordre à la chapelle car les petites jouaient dans le confessionnal. J’y suis allée… et dès lors je suis allée tous les soirs à la chapelle, pour quelques minutes, ceci pendant 3 ans. C’était l’unique prière de la journée… La sœur qui avait conduit les petites à la prière a quitté Tournai quelques jours après, je n’ai même jamais su son nom, mais je lui dois beaucoup !

Au lycée, les filles du cours de morale apprennent les béatitudes. Je m’aperçois que je n’ai jamais lu l’Evangile en entier, seulement les extraits qu’on lit en latin à la messe et dont je lis la traduction dans mon missel. Aussi j’achète les 4 évangiles.

Eté 1952. J’ai 17 ans, ma tante m’invite à l’accompagner au « patronage » où, avec d’autres dames, elle range les costumes de la procession. Le vicaire chargé des mouvements de jeunesse des filles me demande d’aller au patro de vacances, deux après-midis par semaine. J’y vais. De là il me demande d’aller au patro le dimanche après-midi et j’accepte. Cela implique des réunions de formation les dimanches matins et l’abonnement à la revue « Blé vert ». Vers la même époque, en méditant à l’aide d’un livret prêté par mon confesseur, je sens l’appel à me consacrer à Dieu. Au cours de religion, je découvre avec émotion que Jésus ‘ne brisera pas le roseau froissé, il n’éteindra pas la mèche qui fume encore.’ Merci aux pères Jésuites auteur des livres de religion !

Peu après, je deviens équipière régionale au patro. Des journées d’étude sont organisées pendant les vacances de Pâques ; un soir, l’abbé Desenfans, aumônier national, nous propose une retraite de 3 jours en silence. « Dites-moi demain ce que vous en pensez ». Le lendemain, toutes lèvent le doigt pour ce projet. Quand j’annonce cela à la maison, on s’écrie : « Toi, trois jours en silence ? Tu ne sais pas te taire 5 minutes ! »…

Un soir d’octobre 1954, je vais à un récital de poésie ; une jeune fille pensionnaire avec moi annonce qu’elle va m’accompagner, mais elle me quitte tout de suite pour rejoindre un garçon pendant le temps du récital et je me sens complice… découverte du mal !

Le lendemain de Noël 1954, nous allons à la retraite, qui se donne chez les SND à Namur. Pour moi, c’est une découverte merveilleuse du Christ. Chaque année, je vais à cette retraite ; nous voyons des sœurs à la chapelle, et soeur Ida nous sert au réfectoire avec les suissesses. Je fais un chemin de croix vers 10 h ; sœur Claire est à la chapelle, elle me remarque et prie pour moi. Je pense « si elle croit que je vais la rejoindre, elle se trompe ! »

Jeune professeur, je n’ai aucune autorité sur mes élèves. Une année, je passe tous les temps libres de la retraite à lire le livre du Père Voillaume « au cœur des masses » : lettres adressées aux Petits Frères de Jésus. Je m’imagine devenir petite Sœur de Jésus ; quand j’en parle à mon confesseur, il me répond « c’est pour échapper à l’enseignement ? tu dois choisir une congrégation enseignante ! » – c’est l’unique fois, sur 7 ans, qu’il me dit « tu dois ».

Je n’ai jamais osé parler de ma vocation à Papa. Vers l’âge de 21 ans, j’en ai parlé à Maman, étonnée de ce que j’avais pu nourrir ce désir en silence pendant 4 ans. Elle écrit à « l’eau vive » qui publie des conseils dans la page féminine de « La libre Belgique ». Un samedi, rentrant de l’école, j’attrape le journal et je vois « Elsa veut entrer au couvent ». Pleine de sympathie pour Elsa, je lis le texte signé ‘une mère perplexe’… sapristi ! c’est de moi qu’on parle ! Heureusement, l’eau vive conseille de me laisser partir. Evidemment, Maman m’observait du coin de l’œil et je lui demande « depuis quand est-ce que je m’appelle Elsa ? » – c’est l’occasion d’une bonne conversation.

Noël 1957 ; j’ai décidé d’entrer au couvent en 1958, mais où ? Lors des activités du patro, nous avons rencontré beaucoup de congrégations. Je confie mon souci au prédicateur de la retraite, il me dit de prier beaucoup. Je dis des ‘je vous salue Marie’ tout au long des corridors ; plus je prie moins je vois clair. En clôture de la retraite, nous chantons un ‘salut’ en latin avec un prêtre et deux enfants de chœur, des jumeaux d’environ 8 ans. Le salut terminé, nous voyons passer dans le chœur deux petites jambes sous la chape du prêtre : un gamin la transporte sous un porte-manteau qui le cache. C’est tellement comique que nous éclatons toutes de rire… nous sortons de la chapelle en riant… et j’oublie mon missel.

Arrivée à la maison, je constate l’oubli : j’écris à ‘très révérende Mère’ pour le redemander ; en même temps, je demande si les SND ont des écoles et des missions. La sœur qui me répond vient de quitter le Congo pour être supérieure provinciale de Belgique : « j’ai offert mon sacrifice pour le recrutement pour la Belgique et le Congo ; votre lettre est une réponse du bon Dieu ! » Oh non ! j’ai seulement demandé des renseignements ! Avec mon missel, on m’a envoyé une petite biographie de Julie Billiart. Mon confesseur sait lire entre les lignes, il est impressionné favorablement. Je réécris aux soeurs ; cette fois c’est sœur Véronique, l’assistante générale, qui me répond « Nous aimerions beaucoup vous avoir avec nous, mais ce désir compte beaucoup moins que la volonté de Dieu sur vous… » A ce moment, c’est décidé ! Je continue à écrire à Sœur Véronique. Elle m’a promis la discrétion, mais m’envoie le ‘petit traité de perfection’ (textes de Ste Julie) comme imprimé sous enveloppe ouverte ; j’ai beau avoir 22 ans, maman ouvre ce livre, ce qui me vaudra une discussion pénible avec toute la famille. Pendant les vacances de Pâques, à la fin d’une session du patro, je vais voir sœur Véronique qui m’accorde plusieurs heures de conversation et je sens que c’est ici que je dois être. Je continuerai à correspondre avec elle.

Les Dames de Marie, chez qui j’enseigne, m’invitent à une prise d’habit. Les jeunes filles arrivent d’abord en robe de mariée ; puis elles quittent la chapelle ; au bout d’un temps très long, elles reviennent habillées en religieuses, avec un crucifix, et récitent une prière ; les familles pleurent, et moi je me dis « mais quelle folie je m’apprête à faire ! » Heureusement, sœur Véronique m’a prévenue que nous passons toutes par des moments de panique et qu’il s’agit de tenir bon… La veille de mon entrée, mon confesseur me dit que si cela ne va pas, je peux revenir… Idem à la maison, sauf que papa dit « elle est trop orgueilleuse pour revenir ! » Le dimanche 7 septembre, mon frère me conduit à Namur ; ma sœur et Maman pleurent, c’est normal, mais voir Papa pleurer, c’est autre chose ! Je me sauve…

Je croyais ne pas connaître les Sœurs de Notre-Dame. En fait, mes sœurs avaient eu à l’école primaire le livre « Petit Paul et sa sœur » et quand nous jouions à l’école, c’était avec ce livre qui avait beaucoup de charme. Et à mon école, chaque fois que la directrice devait remplacer une maîtresse, elle arrivait avec un livret bleu clair de calcul rapide, extrêmement intéressant.

La suite de l’histoire ? 6 mois de postulat heureux (j’enseigne) ; 2 ans de noviciat difficile ; puis enseignement à Marche, études à Louvain, enseignement à Anderlecht et Fleurus ; départ au Congo en 1978 : 2 ans d’enseignement à Kisantu suivis de 9 ans comme secrétaire à Kimwenza ; 2 mois près de Maman mourante à la clinique à Mouscron, suivis de 2 mois avec Papa ; retour pénible au Congo d’où on me renvoie en Belgique dès juin 1989. On m’a demandé de m’occuper de la formation, je n’aurais pas dû accepter : une sœur se prépare aux vœux perpétuels, une dame d’une quarantaine d’années se présente comme postulante ; je suis très mal à l’aise et elle nous quittera au bout d’un an. En 1992 on me demande d’aller à Rome comme secrétaire générale. En 1996 je reviens à Namur. Cancer du sein : chirurgie, rayons, longue convalescence. En 1997 je deviens secrétaire provinciale et j’exerce toujours cette fonction. Au total, une belle expérience dans diverses communautés où nous recevons tellement les unes des autres !

Sœur Marie-Rose Lepers

13 novembre 2017