Conférence de Judith Merkle, SND pour le « Network for Mission III »

Extraits de la conférence donnée par Sr Judith Merkle, SND, Professeur d’éthique et de sciences religieuses à l’université lors de la rencontre « Network for Mission III » à Boston en juillet 2018.

D’après les notes de sr Monique-Marie Petit

« Le Charisme de sainte Julie au 21ème siècle. »

Objet : Comment actualiser le charisme de Julie qui vivait au 19ème siècle à notre temps traversé par la modernité ?

Réflexions sur le charisme :
• Le charisme est un don de Dieu qui est donné pour le bien commun- pour les autres- dans l’église et en dehors de l’église.
• Julie pose des questions sur le sens de la vie et sur l’identité de Dieu qui donne la vie. Comment accueillir son charisme aujourd’hui ?
• Nous ne sommes pas seulement appelées à devenir de bonnes personnes mais aussi à correspondre à la possibilité de vivre nos vies en union avec Dieu.
• Yves Congar dit : L’Esprit-Saint ne vient pas seulement pour animer une institution qui serait déjà complètement déterminée dans ses structures depuis le début. L’Esprit-Saint est réellement le principe « co-instituting ». Cela signifie que l’Esprit peut aussi donner de nouveaux dons à l’église lorsqu’elle en a besoin.
• Le terme « charisme » est utilisé pour exprimer de nouvelles expériences qui construisent l’église et le peuple de Dieu. Il donne par la fondatrice de nouvelles orientations à la spiritualité et à la mission –vie apostolique-.
• Les sœurs et les laïcs qui ont commencé ou rejoint le ministère des soeurs de Notre-Dame relient leur propre charisme personnel à celui de Julie. Il ne s’agit en effet pas de »copier » Julie. Son esprit forme notre propre réponse à Dieu et à la vie. La présence de Julie dans leur vie les anime pour qu’ils soient et agissent d’une manière bien particulière qui ne s’explique pas sans elle.
• Le don que les fondateurs ont apporté à l’église doit être incorporé à nos structures institutionnelles et dans l’ordinaire de nos vies. Il n’y a pas de charisme sans institution.

La vie au 21ème siècle et le charisme de Julie.

Nous avons à passer de l’expérience vécue au 19ème siècle à celle d’aujourd’hui, marquée par la modernité.
Caractéristiques de la modernité :
• Apparition de nouvelles méthodes scientifiques
• Changement de lois et de politiques
• Division du pouvoir en différents secteurs : politique, économique, lois du marché…
• Prédominance de la liberté individuelle
• Remplacement de l’idée de « groupe » par l’importance du privé et de l’intérêt personnel. La religion devient une affaire privée, personnelle et non plus une composante constitutive de la vie en société. La religion devient une option à choisir ou non parmi beaucoup d’autres.
La question n’est pas de savoir si le monde est plus ou moins religieux qu’auparavant.
La vraie question est de savoir ce qui est crédible aujourd’hui. Quelles sont les structures susceptibles de porter la religion ? Quelles sont celles qui la contestent ?

Au 18ème siècle, les chrétiens étaient face au paganisme ou à d’autres grandes religions. L’ « exclusive humanism » n’était pas pensable à ce moment-là.
Aujourd’hui, il est possible il est possible d’imaginer une vie humaine complète, heureuse, remplie uniquement dans cette vie ici-bas, à partir des réalités de ce monde.
Dans cet » humanisme exclusif », il n’y a aucune allusion au sens, au but de la vie si ce n’est l’épanouissement personnel dans cette vie. Pour beaucoup aujourd’hui, cette vie ici-bas est tout ce qu’il y a d’important.
Lorsqu’on a rejeté la religion, la sécularisation génère un « exclusive humanism » comme une nouvelle option. La pensée et le sens peuvent être construits sans référence au divin.
Auparavant, la religion était reliée à tout et n’était pas une « sphère « privée. Aujourd’hui, elle n’est plus nécessaire pour réfléchir ni pour agir.
Aujourd’hui, même pour un croyant, la foi est une option parmi d’autres et pas la seule à devoir être suivie.
La sécularisation est le contexte global dans lequel la compréhension de l’expérience et de la recherche morale, spirituelle et religieuse prennent place.

Devons-nous accepter que lorsque la modernité s’accroît, la religion diminue ? NON !
Cela supposerait qu’il n’y a qu’un chemin vers la modernité. Cela n’est pas vrai. Si c’est le cas, l’être humain a perdu son horizon et ce qui est perdu est pur et authentique.
La modernité laisse peu de place à l’intériorité, à la réflexion personnelle des individus, à la raison, à l’imagination, à la nature; la priorité est la liberté personnelle et donc l’individualisme.
La place de Dieu n’est plus centrale.
L’homme moderne aspire à plus de liberté personnelle ; il donne priorité à la vie ici-bas et cela suscite chez lui une demande de justice universelle, d’égalité, de règles personnelles et de bien-être.
Même s’il y a un accord avec ce que nous souhaitons vivre comme valeurs, il y a un profond désaccord, une fissure, sur les sources morales qui les portent, les révèlent. D’où un conflit interne !

La question est : si cette vie ici-bas est le tout, où trouvons-nous les sources morales pour renouveler et transformer le monde tel que nous voulons ?
En général, l’agapé comme amour de tous a été la référence de notre recherche de justice et de bien-être.
La vision de faire connaître la bonté de Dieu est très moderne lorsque nous faisons face à la pression des changements de la société moderne et que nous cherchons les sources morales pour continuer à construire notre monde moderne.
Nous ne sommes pas à la fin de quelque chose mais au commencement de quelque chose de nouveau.

Pressions du changement du à la modernité
• Les personnes imaginent et mesurent le sens de leur vie d’une manière nouvelle
• Plutôt que de rejeter Dieu, beaucoup ne sont même pas confrontés à la question de Dieu
• Les incroyants ressentent le manque de transcendance. Les croyants vivent leur foi personnelle comme un combat car il n’y a pas de parole officielle adaptée à la culture d’aujourd’hui pour dire son contenu.
• La pratique religieuse continue, la religion n’est pas morte.

Julie et la modernité et ses défis :
Nous sommes attirés par la modernité et aussi par le besoin de gérer les ambiguïtés et le manque qu’elle génère. Cette tension forme une pression, un grondement d’anxiété qui n’a pas de mots pour le croyant ni pour l’incroyant.

C’est exactement dans cette tension que la vitalité et la pensée de Julie peuvent prendre place.

Comment répondre à ce nouveau contexte ?

1. The « good life »
Nous devons faire connaître la bonté de Dieu lorsque nous cherchons à
vivre cette vie dans toutes ses dimensions. Cela suppose d’affirmer le
« bon » dans chaque personne et aussi une vision du « bon » qui embrasse
tous les obstacles de la vie.

Faire connaître la bonté de Dieu est le terrain où cette recherche peut se faire. Un terrain ou non seulement les expériences positives de la vie peuvent être relues mais où les expériences de ténèbres ont aussi leur place. Nos expériences positives, celles de la rencontre de nos limites, nos expériences négatives, difficiles à l’intérieur de nous-mêmes et à l’extérieur de nous.

Nous contrecarrons ainsi les vents de la transformation.
Se tourner vers le transcendant est un appel à « plus » dans la vie.
Notre réponse nous met en lien avec la bonté de Dieu.
Donner sens à nous-même est impossible. « Nous pouvons seulement attendre la réconciliation finale de notre existence qui est marquée par la présence de celui que nous appelons Dieu » Rahner.

Rechercher comment vivre la « good life » ne demande pas de cesser d’être une personne moderne.
D’abord regarder le cœur de la bonté de Dieu.
Ensuite, chercher comment utiliser mes sources modernes dans le but de connaître Dieu
Et ensuite, l’expression de la bonté de Dieu deviendra évidente.

Racines de la modernité dans les cultures et charisme :
• Pouvoir humain de rationaliser et de contrôler
• La nature : biologique, la beauté, l’instinct, les désirs, les sentiments
• Capacité d’expression de soi et créativité.

2. Favoriser une religion que vous ne voulez pas soustraire …
Le fait d’être moderne et religieux signifie souvent fondamentalisme et sécularisation ; mais nous ne sommes pas contraints à être religieux : nous nous tournons vers Dieu dans la liberté de l’esprit. Comment pouvons-nous favoriser une religion saine que nous ne voulons pas édulcorer ?

Julie n’était pas pour une religion de pratiques extérieures pas plus que pour la mise en œuvre de sa propre religion. Pour elle la liberté d’esprit a été le seul moyen de connaître la bonté de Dieu.
« Enseignez-leur ce qu’ils ont besoin de savoir pour la vie. «
La religion disparaîtra si elle est magique, superficielle, illusoire ou juste basée sur des principes extérieurs. Julie dira que cette religion manque de formation et de profondeur.

La religion permet une ouverture à l’expérience ; l’interprétation de cette expérience n’est pas toujours correcte mais elle n’est jamais sans conséquence.
La religion peut être rejetée avant même qu’on s’y soit engagé.
L’ouverture à la foi a un rôle et la volonté de croire peut altérer la possibilité de croire.

Culturellement, c’est un héroïsme d’être incroyant. Parfois, le rejet de la religion n’est pas la conséquence d’une limite intérieure de l’esprit et de la pensée mais le résultat d’une dérive culturelle.

Affirmer la religion comme un second langage.

Faire connaître la bonté de Dieu arrive le plus souvent avec succès avec des personnes qui n’ont pas ce discours religieux mais sont ouvertes à la transcendance.
C’est la proposition du partage de la foi, la joie de l’évangile.

Construire des structures de grâce :
Familles, institutions, valeurs, éducation, modèles de vie et contextes culturels donnent une base pour le point de départ.

Charisme, bâtisseur de la vie au 21ème siècle : La religion ne peut pas être les restes de foi détachés de celui qui les vit. Elle ne peut être soutenue par ceux qui la condamnent ou affirment le monde moderne en bloc.
Notre vision doit embrasser ‘the cross ». le terrain de l’église peut être ardu, rocheux mais sans l’église y-a-t’il une « free zone » ?

Le pouvoir du manque de pouvoir :
La perte de la liberté due aux totalitarismes arrive dans l’ouest avec la société de consommation. La seule différence dans l’Ouest, c’est que nous voulons continuer à croire que nous sommes libres.

3. Bonté de Dieu et élaboration d’une identité positive
Une vie qui peut rencontrer la demande de bienveillance à laquelle nous appelle notre réalité globale requiert une capacité de voir le « bon » dans notre monde et d’y mettre davantage de bonté.
Le fondement chrétien de la bonté d’être est dans la création. La bonté que nous voyons dans le monde n’est pas quelque chose de tout à fait indépendant du fait que Dieu voit cela comme bon.
Le regard de Dieu voyant cela comme bon et l’aimant n’est pas seulement le constat que cela est bon mais cela le rend bon.

La pratique de la simplicité nous connecte à cette bonté.
La simplicité consiste simplement à être soi devant Dieu et à laisser Dieu me regarder comme je suis ; cela suppose de la confiance : Dieu aime ceux qu’il voit et il les transforme pour les rendre bons.

A la manière de Marie, mère de Jésus.
Julie a trouvé en Marie la foi en la bonté de Dieu ; Sa réponse était une réponse de foi et d’espérance que Dieu accomplit la promesse qu’il lui avait faite.

« Nous vivons dans un siècle qui demande que nous construisions une nouvelle civilisation qui n’a pas de précédent » (Benoît 16)

Nos institutions et nos ministères doivent être un regard, des espaces de bonté.
Nous aidons les personnes que nous rencontrons à découvrir leur propre charisme, à les développer et à les faire grandir jusqu’à leur source ultime.
Nous formons une communauté qui tend les bras vers le pauvre et a la force d’être debout au milieu des complexités de notre temps.

Identité vraie plutôt que politique :
Dans une société culturelle avec des identités politiques, des guerres, un climat social où je sais seulement qui je suis lorsque je m’oppose à l’autre, nous essayons de sortir de cela et d’enraciner notre identité personnelle et celle de nos institutions dans la bonté de Dieu.

Participer à ce mouvement de bonté est une transformation. Cela demande un changement de notre vision du monde, des autres et de nous-mêmes.
Dans la pensée et les mots de sainte Julie ce changement vient seulement à travers une vie d’amour
• Amour de la famille, de la tribu, de la région et du pays
• Amour de l’être humain, de Dieu
• Action de grâce et culte
« Rien n’est plus important que trouver Dieu et pour cela aimer d’une manière radicale » ( Pedro Arupe)

En choisissant de faire connaître la bonté de Dieu, nous choisissons quelque chose d’infini, une valeur qui embrasse tout, quelque chose qui ne passera pas. Nos choix quotidiens restent les mêmes mais ils ne sont plus absolus en eux-mêmes ou en ce qui nous définit.
Le charisme fait la différence dans nos vies et nos institutions.

Le pourquoi nous choisissons ce que nous devons changer et, au croisement de nos décisions, nos priorités viennent de ce don spirituel. Un changement qui transforme nos vies et leur donne intériorité et profondeur.

C’est la joie de l’évangile que Julie a vu comme la marque de ceux qui vivent dans l’esprit de ND.

« Nous ne sommes pas une sphère mais un solide ayant plusieurs faces. Sans l’harmonie de la sphère mais gardant l’unité d’un solide. A des distances différentes du centre et sans chemin unique pour lui être relié. » Pape François